Peut-on faire un peu de théologie à partir d’un match de rugby ?
La coupe du Monde qui vient de si bien commencer en France, peut-elle nous apprendre quelque chose sur l’homme, sur Dieu même ? Peut-elle même nourrir notre foi chrétienne ?
Vous devinez que mon cœur m’incline plutôt à relever ce défi, pour ne pas être un simple supporter un peu chauvin … Essayons, et transformons l’essai… !
Et d’abord, comme tout sport de haut niveau, le rugby s’appuie sur une soif de transcendance.
Il y a chez les sportifs une endurance physique et psychologique extraordinaire. Ils doivent se dépasser, se « transcender », se confronter à l’impossible. L’intensité de l’effort est si grande qu’il révèle au sportif qu’il est comme habité par une force plus grande que lui, qui le porte, le transfigure. Lors de la finale du championnat d’Europe de football, le joueur vedette Kaka (d’origine brésilienne) portait sur son maillot : « I belong to Jesus » « J’appartiens à Jésus »(d’ailleurs il a gagné la finale avec le Milan AC !).
Beaucoup de sportifs font l’expérience de la transcendance à partir de leur affrontement à leurs limites, comme à partir de leur abandon à la force et l’inspiration qui les soulèvent plus haut qu’eux-mêmes.
Le rugby de haut niveau s’appuie lui aussi sur cette soif de transcendance : se dépasser ensemble, pour aller le plus haut possible. Comment ne pas y voir l’aspiration à l’infini, la quête d’infini qui marque toute créature humaine parce qu’elle est habitée, même confusément, par un Dieu plus grand qu’elle ?
Soif de transcendance, donc.
Comme beaucoup de sports de haut niveau, le rugby révèle ainsi, et cultive, la dimension religieuse de l’homme.
Il faut avoir vibré dans les virages des tribunes du stade, chanté avec les chœurs gallois, fait corps avec l’exultation de la foule pour une superbe phase de jeu… pour mesurer ce qu’est la ferveur « religieuse » autour d’une équipe de rugby. Il y a des rituels dans les vestiaires ou sur le stade (pensez au haka chez les All Blacks...)
Haka france all black
envoyé par NONY49
il y a des héros presque canonisés (JP Rives, Pierre Albaladéjo ou Philippe Sella ou Jona Lomu…), il y a des légendes qui courent (ne dit-on pas que les All Blacks portent par avance le deuil de leur adversaire en jouant tout en noir ?...).
Bref, ce sport comme beaucoup d’autres nous rappelle que l’homme est pas essence un animal religieux ; et ce n’est pas le christianisme qui le contredira, au contraire !
Soif de transcendance, révélateur de la dimension religieuse de l’homme.
Venons-en aux spécificités de cet étrange ballet à 15 qu’est le rugby.
Et en premier ce ballon bizarre. Ni rond, ni plat, non : ovale ! Ce qui en fait un ballon capricieux qui rebondit de manière quasi-impossible. Essayez donc de prévoir sa trajectoire dès qu’il touche terre… ! Dans le monde de l’ovalie, il n’y a pas que le ballon qui n’est pas rond : rien n’y est rond, c'est-à-dire rien n’est absolument maîtrisable, comme dans le réel. D’où un génie rugbystique très particulier : s’avoir s’adopter aux rebonds imprévus, exploiter avec talent un parcours en zigzag, s’attendre à tout et à son contraire sans se laisser désarçonner…
J’y vois en filigrane des valeurs et des attitudes très proches de la spiritualité chrétienne : savoir déchiffrer les évènements, se laisser conduire avec souplesse et opportunisme, conjuguer dé maîtrise et inspiration, pour transformer un rebond capricieux en course triomphale…
Décidément le rugby est paradoxal, presque autant que la foi chrétienne !
Rendez-vous compte : pour avancer, il faut passer en arrière (s’appuyer sur le passé pour ouvrir l’avenir, dirions-nous en langage chrétien).
Il paraît violent, mais en fait il canalise la violence et la transforme en énergie positive ! J’admire ce réalisme spirituel qui préfère tenir compte de l’être humain tel qu’il est plutôt que d’en bâtir un idéal, et qui, croit que de tout mal peut sortir un bien plus grand encore. De l’ardeur guerrière des joueurs de rugby peut sortir, grâce à l’affrontement physique régulé et « transcendant », un « rugby champagne » pétillant de malice, d’astuce, de beauté.
Christophe Dominici, ailier du XV de France raconte : « à 14 ans, face à la mort brutale de ma sœur, j’ai ressenti une colère infinie. J’en voulais à la terre entière, je me sentais coupable, je pensais que mes parents auraient préféré que ce soit moi qui meurs plutôt qu’elle (…). Je me suis servi de cette haine qui me conduisait à faire n’importe quoi. Je l’ai mise au service du collectif, je l’ai rendu positive (grâce au rugby). Comme si mon malheur avait accru ma volonté et démultiplié mes forces ». (Philosophie Magazine, Septembre 2007, p. 37).
L’évangile du jour, au passage, ne dit rien d’autre : sois assez malin pour que l’affrontement avec ton adversaire ne tourne pas à ton désastre…
D’ailleurs, cet apprivoisement, ce dépassement de la violence s’accompagne d’un public foncièrement non-violent. Il n’y a pas de hooligans dans le rugby !
Cela pourrait même aller paradoxalement jusqu’à… l’amour des ennemis !
Le respect de l’adversaire, la haie d’honneur à la sortie en applaudissant les perdants, la fameuse 3ème mi-temps avec eux.... Au rugby, on joue mieux en jouant avec l’adversaire, pas contre lui ou sans lui.
Autre point : ce sport est à la fois personnel et communautaire, ce qui résonne bien avec une certaine vision chrétienne de l’homme :
Au rugby, il n’y a pas d’exploits individuels sans effort collectif. Impossible de marquer tout seul !
En sens inverse, la cohésion collective de l’équipe a besoin d’étincelles de génie individuel : le demi de mêlée se faufilant dans un trou de souris pour aller aplatir derrière la ligne, l’ailier débordant la défense par des crochets et des contre pieds ébouriffants...
Les rugbymen savent ce que « faire corps » et "se sacrifier" veut dire. Avec un esprit d’abnégation et d’humilité incroyables ! Les « tracteurs » du pack d’avant se sacrifient pour les « gazelles » des lignes arrières. Les plaqueurs plaquent à tour de bras sans jamais voir la balle. Un arrière peut courir 11kms pendant le match sans jamais toucher le ballon… Mais chacun veut apporter sa note au collectif. Au dernier match de l’équipe de France, on a vu Harinordoqui rater un essai « en oubliant » de faire une passe ultime : il s’est fait sermonner au vestiaire, a effectué une confession publique avec repentance devant toute l’équipe ! Même l’hyper-médiatisation du géant Chabal, velu et poilu à souhait, ne pourra faire de l’ombre au prestige du groupe.
Savoir conjuguer l’individuel et le collectif, le personnel et le communautaire, c’est un point commun au rugby et à la foi chrétienne…
Il faudrait également évoquer le rapport au corps : les rugbymen le soignent, le montrent (cf. le calendrier ‘Les Dieux du Stade’), l’aiment sans l’idolâtrer, sans oublier l’esprit du jeu. Les corps qui s’expriment tout entier au rugby sont mis en valeur, affrontent la souffrance, se transcendent, dans une chorégraphie où même les maillots de rugby ont des allures d’opéra…
Vous voyez, il y a tant de pierres d’attente pour la foi chrétienne dans ce jeu génial qu’est le rugby ! Il y a tant de parallèles à faire, de convergences à établir…
Bien sûr il y a aussi des aspects contraires à l’Évangile !
Mais ne soyons pas des spectateurs superficiels, ni des opposants obtus : sachons lire dans les passions de notre temps, le Coupe du Monde en ce moment, la trace de la grandeur de l’homme qui est pour nous la trace de la grandeur divine.…
Amen !
Père Patrick BRAUD