J’ai eu récemment à prendre position sur deux sujets qui me passionnent : la laïcité et l’école. Je l’ai fait d’abord à la tribune de l’Assemblée Nationale à l’occasion du débat sur la laïcité le 31 Mai et je viens de m’exprimer à nouveau sur ce sujet à l’occasion des 100 ans de la ligue de l’enseignement de mon département le lot-et-Garonne, Samedi dernier.
J’ai envie d’y revenir avec vous, d’abord parce que, de part ma mère, professeur de philo au lycée de Baudre à Agen, j'appartiens à une lignée d’enseignants (grand-père à l’université d’Alger, mère à Agen…..et ma fille, prof des écoles, dans la Gironde rurale à Cavignac), mais surtout parce que laïcité et école, toujours liées, sont sans aucun doute un des défis majeurs de notre France de ce début de 21 ème siècle.
Laïcité d’abord…… valeur centrale si nous voulons réussir le vivre ensemble de ce XXIe siècle. Mais quel est au fond la signification profonde de la laïcité aujourd’hui ? Dans ce début de siècle, il y a d’abord, de toute évidence, une quête de sens nouvelle et forte dans nos sociétés modernes. « Le XXIe siècle sera spirituel ou il ne sera pas ». Cette fameuse citation souvent attribuée à André Malraux annonçait avec acuité la recherche de sens qui grandit dans les pays occidentaux, après avoir assisté à un net repli des religions depuis le XVIIIe siècle. Il s’agit là d’un mouvement idéologique très profond qui interroge le cœur de nos sociétés modernes.
Et puis, il y a la réalité française… La France compte notamment 6 millions de musulmans pratiquants. C’est un fait. Ils forment la deuxième communauté religieuse de notre pays, une communauté où la pratique des rites est plus forte et plus publique que parmi la communauté chrétienne. De plus, la France est un pays très singulier dans le monde face au phénomène religieux. D’abord « fille aînée de l’Eglise », avec des racines chrétiennes très profondes, la république française s’est largement construite dans un dur et long combat contre l’Eglise Catholique alors omniprésente dans la vie sociale de notre pays. C’est au cours de ce combat que s’est élaborée la laïcité française, forcément anticléricale et sa loi cadre, la loi de 1905, de séparation de l’Eglise et de l’Etat.
Dans la France d’aujourd’hui, à peine la moitié de la population se dit croyante, le courant laïc est particulièrement fort et l’opinion publique est assez indifférente aux enjeux religieux. Mais nous ne sommes que 63 millions d’habitants dans un monde qui en compte presque 7 Milliards. Et mes années africaines ainsi que mes voyages dans le monde Arabe ou aux Etats-Unis m’ont appris que pour la plus grande partie de la population mondiale, la foi en Dieu est juste naturelle comme son expression publique et il n’est tout simplement pas envisageable que la vie publique n’intègre pas la dimension religieuse.
Or que cela plaise ou non, nous sommes à l’époque de la mondialisation et les flux migratoires assurent chaque année l’arrivée de populations sur le territoire français qui sont en grande majorité croyants et pratiquants. Ces personnes sont naturellement mal à l’aise avec notre laïcité à la française. J’entends la voix raisonnable de celles et ceux d’entre nous qui leur demandent de s’adapter à notre cadre républicain. Pas si simple …
En tout cas, le brassage, la mixité de croyances, imposée par la mondialisation interroge la laïcité à la française affirmant que la religion doit rester une affaire privée ne débordant jamais sur la sphère publique. Encore une fois la laïcité française s’est construite contre et en relation avec la religion catholique. Comment doit-elle évoluer alors que la deuxième communauté religieuse nationale est l’Islam ? Voilà le débat de fond !
Comment passe-t-on de la laïcité de 1905, républicaine, anticléricale, structurée par son rapport à la religion catholique à la laïcité de 2011, qui doit répondre à l'histoire, notamment coloniale, de notre pays et à la mondialisation actuelle ? J’ai acquis la conviction qu’encore plus qu’en 1905, les valeurs laïques sont indispensables dans notre société de 2011 autrement plus hétérogène que celle du début du XXe siècle. Ces valeurs sont tout simplement indispensables à la République du XXIe siècle. Elles seront mêmes notre lien et notre bien commun encore faut- il les faire vivre avec notre réalité d’aujourd’hui que je vous ai décrite ci-dessus.
L’école ensuite….J’ai rapproché dans mes réflexions le recul de l’école française dans les classements internationaux, l’interrogation de Ruppert Murdoch au dernier sommet de l’e-G8 (« Internet a tout changé, sauf l’école »), et de longues conversations fructueuses avec des amis enseignants, sans oublier les échanges passionnés avec ma fille.
Rappelons les faits bruts : La France a reculé à la 22ième place sur 62 dans les classements internationaux. Il faut avoir le courage de s’interroger sur ce recul. Il n’est dû ni à la méthodologie qui serait contestable, ni à la baisse des moyens (la suppression d’1 poste sur 2, récente, a peu ou pas impacté la génération d’adolescents évalués). Les racines de ce recul – grave – français sont à chercher ailleurs. Ce sont les enseignants qui m’ont mis sur la meilleure piste pour l’expliquer. Ils pointent l’hétérogénéité croissante des classes qu’ils doivent diriger. La différence de niveaux des élèves d’une même classe d’âge s’accroit d’année en année et nos enseignants s’épuisent à y répondre dans le cadre ancien. Or ces différences ne vont pas s’estomper, bien au contraire (voir les conséquences de la mondialisation et les flux migratoires qu’elle induit). Difficile, épuisant pour nos professeurs de faire classe en même temps aux enfants de couples stables, bien intégrés, à ceux qui sont en difficulté pour des raisons diverses et aux enfants des primo-arrivants.
La réponse passera par la personnalisation croissante de l’enseignement face à cette hétérogénéité. Des réformes de structure sont indispensables. Celle du collège unique est urgente. ….mais elles ne suffiront pas. Le salut ne viendra pas non plus d’un nombre croissant de professeurs. Que cela plaise ou non, l’argent de l’Etat se fera de plus en plus rare….Personne ne souhaite à la France le sort de la Grèce. Il faut donc aller chercher les solutions ailleurs. L’introduction massive des nouvelles technologies sera une partie de la réponse. Nos professeurs doivent pouvoir passer progressivement d’un enseignement unique pour l’ensemble de leur classe à un enseignement personnalisé rendu possible par un poste de travail et des logiciels éducatifs personnalisables intermédiés par un enseignant qui s’adaptera à chaque niveau de la classe. Les mêmes technologies permettront, aussi, d’optimiser la mobilisation des parents – quand ils sont intéressés – aux progrès scolaires de leurs enfants.
Bref, de toute façon, l’Education Nationale est devant un véritable tsunami avec la progression des nouvelles technologies. Il suffit de poser une seule question : « Pourquoi apprendre alors que j’ai dans les mains un outil, mon smart phone ou mon ipad, qui a la réponse à mes interrogations quasi-instantanément ? » pour le pressentir. Et bien, il faut saisir l’opportunité de ce choc technologique pour en faire une chance pour l’Education Nationale de notre pays : plus personnalisée, plus en relation avec les familles, plus réactive…
Laïcité, éducation, …..les défis à relever sont un peu vertigineux. Mais il existe des réponses d’avenir, fidèles à nos valeurs fondatrices. Encore faut-il avoir les yeux ouverts sur notre époque le XXIème siècle…..sur ses contraintes et sur ses potentialités.
vos réactions m'intéressent (encore plus) ce soir que d'habitude (c'est peu dire)
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Les réflexions d'un élu engagé au service de sa ville et de son territoire
Réponse de la Ligue de l'Enseignement
Monsieur le Député
Présent, à notre invitation, pour le centenaire de notre Fédération départementale à Nérac le 18 juin 2011, vous avez lors de votre discours de circonstance traité, ainsi que vous en faites part sur votre blog, de deux points essentiels à nos yeux : la Laïcité et l'École. Vous nous invitez en fin de texte à une prise de parole avec ces mots « Vos réactions m'intéressent (encore plus) ce soir que d'habitude ». Voici donc ci-dessous notre réponse, contributive au débat souhaité.
Concernant en premier lieu la Laïcité, vous connaissez notre attachement historique à celle ci. Vous pourrez par ailleurs, ainsi que les lecteurs de votre blog qui le souhaitent, trouver un précieux outil de travail, de recherche et de connaissance sur le site que la Ligue de l'Enseignement a créé http://www.laicite-laligue.org/. Il convient tout d'abord de préciser que les chiffres dont nous disposons estiment la population sur le territoire français à 5 millions de personnes de culture musulmane. Parmi ceux-ci environ un tiers peuvent être qualifiés de pratiquants. Soit environ 1.600.000 personnes, ce qui est loin des 6 millions que vous annoncez mais n'en reste pas moins une donnée importante. Cela révèle une sécularisation réelle, et donc une intégration de la Laïcité, qui touche les deux tiers des dits musulmans et même le tiers des pratiquants qui ont bien dû intégrer les lois laïques dans leur gestion du culte. Nous siégeons à la COPEC (Commission pour l'égalité des chances) mise en place par la Préfecture de Lot-et-Garonne, avec les représentants des différents cultes et à ce titre avons pu vérifier avec eux à maintes reprises qu'ils ne remettent nullement en cause la Laïcité, fut elle « à la française » comme vous la présentez.
Le fait d’être pratiquant, de quelque religion que ce soit n’est à ce titre pas une menace pour la Laïcité en soi. La liberté de culte est au contraire une des conséquences logiques de la liberté de conscience. Comme celle de la liberté de pensée et notamment de ne pas croire. Disons le clairement, l’évolution démographique de la société française devenant société multiculturelle n’est pas toujours facile à vivre au quotidien, mais les – réelles – questions religieuses ne sont que peu de chose au regard de la régression sociale généralisée que nous connaissons et dont les populations immigrées (et non seulement musulmanes) sont trop essentiellement l'objet.
Il nous semble également fondamental de revenir sur votre affirmation relative au cléricalisme. Et puisque vous avez cité Malraux, commençons tout d'abord par cette phrase que Gambetta reprit en la rendant célèbre « le cléricalisme, voilà l'ennemi ». Qu'est ce que le cléricalisme sinon l'intervention du clergé dans la vie publique ? Et si la Laïcité peut être (de manière lapidaire) résumée par le principe de séparation du civil et du religieux dans l'État, nous ne voyons pas comment, par essence, la Laïcité n'est pas anticléricale ! Reconsidérer le cléricalisme c'est remettre en cause la Laïcité, et quand bien même cette loi a 105 ans, elle n'en est pas moins l'un des socles républicains d'actualité en ceci qu'elle a été conçue comme une loi de raison. Elle permet aujourd'hui encore un vivre ensemble dans lequel chaque chose est à sa place, séparant heureusement la sphère privée de la sphère publique.
Venons en maintenant à vos propos sur l'École. Ceux ci ont particulièrement ému la très (très) grande majorité de la salle à Nérac. S'il est impossible de répondre directement en peu de lignes à vos affirmations, tant la complexité et les enjeux de ce dossier sont grands, nous tenons à vous faire part des quelques remarques suivantes. Tout d'abord le fait que votre réflexion et votre propos s'assoient sur ceux de Ruppert Murdoch lors de l'E-G8 ! Est il besoin de rappeler qui il est ? Actionnaire majoritaire du plus grand groupe médiatique du monde et parmi les 10 personnalités les plus puissantes de notre société. Peut on imaginer que dans ses propos monsieur Murdoch se soucie réellement de pédagogie et d'Enseignement ? La réponse est évidente, c'est non. Aborder la question ainsi laisserait d'ailleurs penser que l'Enseignement n'aurait pas évolué avec l'outil électronique (car ce n'est qu'un outil, ne l'oublions pas) En se rendant dans les Écoles, les collèges les lycées il est aisé de se rendre compte que chacun est doté d'ordinateurs, de connexions comme internet, et pour un nombre sans cesse croissant de tableaux numériques interactifs. Il est donc faux d'affirmer que tout aurait changé ces dernières décennies, sauf l'École. Sauf si l'on garde à l'esprit les évidentes finalités de monsieur Murdoch. Et nous sommes là au cœur du problème.
Le leurre et la naïveté d'un accès sans limite à un « savoir », la confusion entre information (car ce que dispensent les outils évoqués n'est rien d'autre) et apprentissage est grave. Aller sans réflexion profonde vers ce type de dérive sans limite met en jeu la notion de société de l'Individu au détriment de celle de collectif et sens public. Vous posez cette question dans l'avant dernier paragraphe de votre propos « Pourquoi apprendre alors que j’ai dans les mains un outil, mon smart phone ou mon ipad, qui a la réponse à mes interrogations quasi-instantanément ? » et dites qu'il faut saisir cette opportunité !!! Votre approche, nous l'espérons, est volontairement simpliste. Elle est aussi dangereuse. L'enjeu dans l'Éducation n'est pas celui de la disponibilité de l'information mais bien celui de son appropriation. C'est là tout le rôle de l'Enseignant, comme par exemple celui du journaliste en une autre matière. Tomber dans un tel piège serait grossier et si nous pouvons aisément être en accord avec vous sur la nécessité de repenser l'École (sans cesse) c'est bien dans le sens de la renforcer et non de la brader. L'approche de monsieur Murdoch n'a d'autre fin que celle de substituer le marché à une véritable politique publique, ici d'Éducation. L'élève, ou l'enseigné ne deviendrait donc plus qu'un cœur de cible, ce qui est impensable, voire inacceptable. De nouvelles articulations sont sans doute à trouver où le temps d'Enseignement devra évoluer, mais en renforçant le sentiment d'appartenance commun par une stabilisation de l'institution et non par sa destruction. En 2005 la Ligue de l'Enseignement a validé un texte intitulé « Refonder l'École pour qu'elle soit celle de tous, pour que la République laïque, démocratique et sociale tienne ses promesses ! »
(http://www.laicite-laligue.org/index.php?option=com_content&task=view&id...) toujours d'actualité et dans lequel vous pourrez, comme vos lecteurs, trouver des propositions qui sans nul doute sont largement contributives de ce débat.
Avec nos salutations respectueuses, le bureau de la Ligue de l'Enseignement de Lot-et-Garonne.
Réponse
Bonjour,
Je me permets de poster ici la réponse à ce commentaire que j'ai également adressé à la FOL par courrier et mail.
Vous avez porté à ma connaissance une réponse à mon discours que j’ai lue avec attention et je souhaiterais aujourd’hui poursuivre ce dialogue que nous avons entamé sur l’avenir de l’enseignement.
Pour commencer, je voudrais revenir sur la laïcité à l’école. La vraie question que je veux soulever est celle de la permanence du fait religieux dans notre société et des relations entre l'Etat et les différents cultes. C’est en cela que j’ai abordé le sujet de l’Islam car le taux de pratique est plus élevé dans la population musulmane que chez les catholiques. De plus, la France terre d’accueil de populations immigrées, majoritairement croyantes, doit réfléchir à l’intégration de ces enfants dans notre système scolaire.
Pourrons-nous rester avec un ensemble de règles édictées en 1905 ? Pour certains principes généraux oui, pour un certain nombre d'autres règles directement opérationnelles comme par exemple le financement des lieux de cultes, je ne le pense pas. Je sais que c’est un débat qui vous tient à cœur. Je tiens à y apporter ma modeste contribution avec mes convictions, tout en cherchant à renforcer l’objectif de notre laïcité : le vivre-ensemble.
Ensuite, je souhaite aborder à nouveau la question de la révolution numérique à l’école. Ma passion pour les nouvelles technologies m’y porte naturellement et je sais qu’il y a des réflexions et des évolutions dans l’Education Nationale sur ce sujet.
Si l'école s'est bien entendu ouverte à la dimension des nouvelles technologies il est exact qu'elle l'a fait de manière beaucoup moins massive que le monde de l'entreprise ou de l'administration.
Au delà de ce constat, je suis d'accord avec vous pour dire que les nouvelles technologies ne sont que des outils pédagogiques. Mais, je tire de toutes les discussions que j'ai eues avec de très nombreux enseignants, que l'école française est actuellement en difficulté et qu'il faut avoir le courage de lire son recul dans les classements internationaux (22e place sur 62 au classement du Programme International pour le Suivi des Acquis des étudiants).
A mon avis, les racines de ce recul sont à chercher dans l'hétérogénéité croissante des classes françaises. Le défi pédagogique du moment est de répondre à cette hétérogénéité. Il y a là une véritable politique publique à construire autour de cet objectif (réforme du collège unique...) mais il est clair qu'il y a aussi un défit pédagogique à relever et qu'une partie de la réponse sera dans la mobilisation des nouvelles technologies pour la personnalisation de l'enseignement.
Alors bien sûr il ne s'agit pas de confondre disponibilité de l'information et appropriation de l'information, vous avez raison là dessus. Mais prenez une matière, pour illustrer notre débat : que faut-il aujourd'hui apprendre en histoire ? Êtes-vous si certain qu'il faille apprendre la date de la bataille de Marignan alors qu'elle sera accessible à partir de n'importe quel smartphone en quelques clics?
Bien entendu, il y a des équilibres à respecter entre les temps de vie scolaire collective pour réussir la socialisation de nos enfants et ceux qui seront personnalisés pour répondre au défi de l’hétérogénéité des classes.
J'attends de tous ceux qui aiment l'école et qui se mobilisent pour elle qu'ils mettent sur la table des projets à la hauteur des défis de notre école.
Je vous remercie pour cet échange particulièrement intéressant sur l’avenir de l’Education Nationale. J’espère organiser bientôt un débat citoyen sur ce sujet et je ne manquerai pas de vous y convier.
Amitiés