Pour voir la vidéo du discours de Jean Dionis: http://www.youtube.com/watch?v=ERRicgycXJs
M. le Ministre,
M. le Président,
Mes chers collègues,
3,5 euros en Espagne, entre 5 et 7 euros en Allemagne,....et 9,2 euros en France : voilà la réalité du salaire horaire minimum brut dans l'agriculture et dans l'Union Européenne d'aujourd'hui.21% en Espagne, 23% en Allemagne …..41,5% en France!voilà la réalité du taux de charges patronales, dans l'agriculture et dans l'Union Européenne d'aujourd'hui.
Ces chiffres crient un constat simple, incontestable: Nos agriculteurs sont victimes de graves distorsions de concurrence en matière de coût du travail au sein même de l’Union européenne.
Nos principaux voisins – qui sont aussi nos principaux concurrents au niveau agricole – ont tous allégé le coût global du travail agricole beaucoup plus vite et beaucoup plus fortement que nous ne l'avons fait.
Reconnaissons-le. Il y a eu,sur ce sujet,une rigidité et une naïveté française qui blessent directement nos agriculteurs.
Car de telles distorsions de concurrence menacent directement la compétitivité de notre agriculture.
Des filières entières (fruits, légumes, viticulture, horticulture) perdent aujourd'hui chaque année des parts de marchés.
1 seul exemple concernant les fruits et légumes, pour lesquels le coût du travail représente jusqu'à 70% des coûts de production: :
entre 1990 et 2008, la production de fraises en France a reculé de 50%, tandis que la production allemande augmentait de plus de 100 % !
Conséquence : Notre pays a perdu sa place de premier exportateur européen de produits agroalimentaires, dépassé par les Pays-Bas et l’Allemagne et sa situation de premier pays producteur agricole européen est aujourd’hui menacée.
L’existence de distorsions de concurrence en défaveur de nos agriculteurs n’est plus contestée aujourd’hui par personne et je suis fier d’avoir contribué – avec Charles de Courson, le groupe Nouveau Centre et son président F.Sauvadet ainsi que l'ensemble des 131 signataires de notre proposition de loi, à porter devant la représentation Nationale cette injustice qu'il nous appartient de réparer.
Notre proposition de loi étend aux salariés permanents l’exonération de cotisations patronales adoptée en 2010 pour l’emploi de travailleurs saisonniers.
Le financement que nous proposons prend pleinement en compte la nécessité de maîtriser les déficits publics.
Le coût de l’exonération, évalué à 1 milliard d’euros, sera donc entièrement compensé par la création d’une taxe, la «contribution pour la compétitivité durable de l’agriculture» portant sur les ventes au détail de produits alimentaires par les entreprises de moyenne et grande distribution.
Notre initiative est le fruit d’un travail approfondi, en lien avec les grands réseaux nationaux et locaux (MSA, CNCER, France AgriMer…). L’impact de la proposition, notamment au plan financier, a été précisément étudié. C’est donc un produit législatif fini et équilibré qui vous est soumis aujourd’hui.
Notre proposition se fonde d'abord et avant tout sur nos échanges avec les agriculteurs, au quotidien, dans nos circonscriptions.
En ce moment précis, aujourd'hui, je veux porter dans cet hémicycle la voix de nos agriculteurs :«A armes égales ! Mettez nous à armes égales avec nos concurrents»
Monsieur le ministre, vous allez nous dire que la proposition est incompatible avec le droit européen mais vous ne nous convaincrez pas.
L’exonération proposée est le prolongement à l'identique – j'insiste bien sur ce point à l'identique - de l’exonération en faveur des travailleurs saisonniers mise en œuvre par la loi de finances rectificative du 9 mars 2010. Il s’agissait d’une première étape positive. Nous l'avons salué comme un effort important de l’Etat, puisque l’exonération a représenté un coût budgétaire de 168 millions d’euros en 2010.
Alors de deux choses l'une :
Ou bien l'exonération des saisonniers est une aide d'Etat euro-compatible – et elle l'est , Monsieur le Ministre !- et alors celle que nous proposons est aussi euro-compatible,
Ou bien le dispositif des saisonniers ne l'est pas et alors l’habillage que le Gouvernement avait employé en 2010 pour justifier l’euro-compatibilité de cette mesure, celui de la nécessité de lutter contre le travail illégal, est bien fragile…
Monsieur le Ministre, vous ne maintiendrez pas une exonération limitée aux saisonniers sans créer un transfert massif, qui siphonera le travail permanent vers le travail saisonnier – et les effets pervers de cette exonération limitée sont déjà à l'oeuvre - . Si vous n'étendez pas rapidement et fortement cette exonération au travail permanent, alors vous entrainerez un recul majeur de celui-ci, une précarisation et une perte de savoir-faire dans le secteur agricole, où les travailleurs permanents sont les éléments clés de sa professionalisation et de sa pérennité.
De plus, la politique de financement de la protection sociale est une compétence des Etats membres et la Cour de justice de l'Union Européenne a jugé qu'il leur appartient, en l'absence d'une harmonisation au niveau communautaire, - et c'est de toute évidence le cas dans le domaine agricole! - d’aménager leurs régimes de sécurité sociale, notamment le niveau des cotisations dues par les affiliés1.( CJCE : Arrêt Blanckaert du 8 septembre 2005)
Enfin, cette question a une dimension politique importante : c’est la France qui est victime de distorsions de concurrence en matière de coût du travail agricole, il est donc parfaitement légitime qu’elle prenne des mesures afin de se défendre !Aujourd'hui, Monsieur le ministre, vous avez un bon dossier à plaider: les accords germano-polonais, le taux de charges spécifique pour l'agriculture en Espagne et tous les autres dispositifs nationaux inventés par nos voisins moins naïfs que nous!
Et par pitié, qu'on nous épargne les jérémiades sur la nécessaire harmonisation sociale et fiscale à l’échelle de l’Union européenne! Elle doit bien entendu rester un objectif politique majeur de long terme. Mais soyons lucides! Une telle avancée est à l’heure actuelle hors de portée, en raison de l’absence de volonté unanime des États membres. Sa mise en oeuvre prendra des décennies.
Pour en terminer sur ce sujet de l'euro-compatibilité des exonérations de charges, Le Premier Ministre F.Fillon s'est engagé devant le congrès de la FNSEA à procéder à des allégements substantiels du coût du travail permanent au 1er Janvier 2012 et nous nous en félicitons. Question: Expliquez-nous comment vos exonérations seront-elles plus eurocompatibles que les notres?
Concernant le financement de l’exonération, il reprend à l'identique – j'insiste à nouveau à l'identique- le dispositif gouvernemental de la contribution pour une pêche durable, dit taxe « poissons », dont le ministre du budget nous a démontré lors de son adoption en 2007 qu’il était euro-compatible.
Nous avons étudié de près cette question : la taxe proposée n’a pas le caractère d’une taxe sur le chiffre d’affaires au sens du droit européen car elle n’est pas perçue à chaque stade du processus de production et de distribution. Elle est donc conforme à la législation européenne en matière de TVA.(arrêt 3 0ctobre 2006 IRAP).
Rassurez-vous, M.le Ministre, au vu de la jurisprudence européenne, la France va gagner la procédure contentieuse intentée, contre cette taxe, par la grande distribution devant la Commission.
Enfin, quelle est la cohérence du gouvernement s'il est prêt à baisser les bras sur la taxe poissons alors qu'il refuse de retirer la taxe Télécom – où là aussi les distributeurs financent les producteurs – taxe, pourtant beaucoup plus contestable sur le fond, malgré les injonctions de Bruxelles !
En outre, ce financement présente plusieurs avantages.
Quoi de plus légitime que de faire participer l’aval de la filière – la moyenne et la grande distribution - au financement du soutien aux agriculteurs.Les taux de marge nette de la grande distribution dans le secteur des fruits et légumes se situent entre 30 et 40 % et sont tout simplement scandaleux!
L’assiette très large et le taux réduit de la taxe, de l’ordre de 1%, permettront de limiter son impact.
Les conséquences tant pour les producteurs que pour les consommateurs resteront donc très faibles.
Monsieur le ministre, je vous demande de bien réfléchir avant de renoncer à cette taxe.
Car c’est bien là tout l’enjeu de notre débat : nous devons impérativement permettre une baisse significative des charges des agriculteurs dès le 1er janvier 2012.
Monsieur le ministre, vous avez pris, hier, devant l'Assemblée, l’engagement que le Gouvernement soutiendra un dispositif d’allégement supplémentaire des charges pesant sur le travail permanent dans l’agriculture applicable avant la fin de la législature».
Nous respectons votre compétence, votre capacité de travail et votre savoir-faire diplomatique.
Nous vous faisons confiance, monsieur le ministre, pour aboutir à ce geste vital pour l’avenir de l’agriculture.
Mais soyons clairs. Notre initiative a déjà fait bouger les lignes. Mais, l’adoption de notre proposition de loi est nécessaire pour créer l'élan politique dont vous avez besoin pour gagner les batailles internes qui vous attendent jusqu'à sa mise en oeuvre.
C'est pourquoi, mes chers collègues, nous vous appelons à la voter sans états d'âme le Mardi 3 Mai.
Monsieur le Ministre, vous pourrez ensuite améliorer son contenu en maîtrisant le calendrier de travail parlementaire, afin notamment de l’enrichir de l'apport de notre collègue Bernard Reynès au terme de la mission que vous lui avez confiée.
En final, ce qui compte, seul, à nos yeux, c'est la baisse significative des charges de nos agriculteurs au 1er Janvier 2012.
Quelque soit le vote de l'Assemblée le 3 Mai, je continuerai, avec le groupe Nouveau Centre, ce juste combat jusqu’à son terme.
Monsieur le ministre, nous vous faisons confiance mais nous restons vigilants et adaptons pour la circonstance la doctrine de la Banque de France : « la confiance au gouvernement n’exclut pas le contrôle du Parlement ».
Soyons clairs. Nous ne nous satisferons pas d’une «mesurette»!
Mais si vous décidez de porter une réforme ambitieuse, à la hauteur des défis auxquels notre agriculture est confrontée, alors, les Centristes, Charles de Courson et moi-même vous soutiendrons de toutes nos forces.