Agen recevait ce week-end la deuxième édition de son Festival de l’Alimentation et de la Gastronomie . Pour faire rapide, nous, les Agenais, nous sentons légitimes à être partie prenante de ce débat central pour notre santé, pour notre culture, pour notre bien-être parce que, depuis des siècles, « à Agen, on mange bien… ». Ici, à Agen, nous avons tout l’écosystème du bien manger : des produits agricoles de qualité, une industrie agroalimentaire de qualité, et des super-chefs !
Bref, nous avons eu deux jours de bonheur gourmand, de découverte gastronomique grâce à la présence de chefs, les nôtres et leurs invités. Mais ce fut également deux jours de conférences-débats passionnants qui n’ont d’ailleurs pas eu le public qu’ils méritaient. Nous ferons mieux l’an prochain.
Parmi ces conférences-débats, une a véritablement capté mon attention. Son titre : « Le repas à la Française : archaïsme ou résistance d’avenir ? » posait très directement la croisée des chemins où nous sommes arrivés en terme de repas et d’alimentation.
David DJAÏZ , notre conférencier, celui-là même qui est la cheville ouvrière des rencontres Philosophiques Michel Serres, nous en rappela les enjeux en début d’intervention.
En 2010, l’UNESCO décidait de classer le « repas gastronomique des Français » comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Cette catégorie, créée en 2003, a pour objectif de protéger les pratiques culturelles et savoir-faire traditionnels, aux côtés des sites et monuments.
Dans sa décision, le comité avait noté que la gastronomie française relevait d’une « pratique sociale coutumière destinée à célébrer les moments les plus importants de la vie des individus et des groupes ». Car au-delà des plats, ce qui constitue le repas à la française, c’est la pratique sociale qui l’entoure : la convivialité, le plaisir du goût, le partage, l’association avec le vin, le lien aux terroirs, etc.
Moment festif par excellence, occasion pour les familles – et les amis – de se rassembler, le repas est, en France plus qu’ailleurs, un moment convivial qui a lieu à heures fixes : à 12h30 chaque jour, plus de 54% des Français sont attablés. À titre de comparaison, la prise alimentaire équivalente au Royaume-Uni est à 13h10, et ne rassemble que 17% de la population. Et en France, au moins 1 repas par jour est pris en famille. Le repas français se caractérise également par le temps passé à table ( David nous a rappelé que le temps moyen d’un déjeuner français est de 57 mn alors qu’il n’est que de 21 mn au Royaume-Uni), l’ordre des mets (entrée, plat, dessert) – tandis qu’en Chine par exemple, tous les plats sont servis en même temps –, le plaisir de dresser une belle table, et, bien sûr, par les bons petits plats faits maison.
David DJAÏZ rentrait en résonnance avec les thèses avancées par Jacques ATTALI dans son livre, que je vous recommande (Jacques Attali, histoires de l’alimentation, Fayard). Jacques ATTALI décrivait les tendances lourdes du repas dans notre mondialisation du 21ème siècle : Nous mangeons tous, de plus en plus vite, de plus en plus seuls et de plus en plus connectés à un écran (télévision, iPhone, iPad, PC, …). Tous ? Non, un pays peuplé de gaulois irréductibles résiste (pour être honnête, deux peuples, La France et l’Italie) et ce pays, c’est la France, où chez nous le repas à la française fait de la résistance. Pour le dessiner à grands traits, en France, nous mangeons à plusieurs, lentement, sans écran et autour de rituels très enracinés (l’enchainement entrée, plat, dessert), l’accompagnement avec les vins.
Je le reconnais, je n’avais pas vu très nettement cette exception française. Mais cette conférence-débat a fini de m’ouvrir les yeux sur cette barbarie du quotidien que représente la prise d’un repas tout seul, en vitesse, face à son iPhone… C’est donc sans hésitation que je m’engageais dans la résistance en faveur du repas à la française.
Pas si simple, un autre intervenant à cette conférence passionnante faisait remarquer que les lignes de défense françaises commençaient à se fissurer, car les français cuisinaient de moins en moins (exactement moins de 30mn par jour par adulte, moi, qui suis à 0 mn par jour, ce n’est effectivement pas terrible pour un résistant culinaire français).
Pas terrible ou au moins discutable que la place grandissante des réunions de travail avec plateau-repas où, certes, on ne mange pas seul mais où on laisse le travail envahir cet espace différent, cet espace-pause que doit être l’espace du repas.
De manière structurelle, David DJAÏZ insistait qu’une des manières de résister était une fois pour toutes de décider d’augmenter son budget alimentation et d’arrêter de le prendre comme variable d’ajustement de son budget personnel ou familial en tension. Parfaitement conscient de la difficulté à vivre d’une majorité de nos concitoyens, David proposait notamment des vases communicants entre des postes budgétaires familiaux beaucoup trop élevés en France et notamment celui du logement et de faire remarquer que les allemands se logent pour beaucoup moins cher que nous, français.
Enfin, je faisais le lien entre la progression du triste repas anglo-saxon, avec celle de la solitude dans nos sociétés (montée des familles mono parentales, des personnes du quatrième âge, etc.). Que dire, en effet, à la personne seule chez elle. Pas évident de cuisiner, s’il n’y pas le plaisir de rendre heureux l’autre (enfants, mari, amie, etc.).
Débats profonds, débats sensibles. Mais ils ont eu la vertu de clarifier nos convictions en la matière. Cette affaire de repas n’est pas accessoire. Elle est révélatrice de ce que nous sommes en profondeur : « Dis-moi ce que tu manges et avec qui tu manges et je te dirai qui tu es ».
Au terme de cet échange passionnant, je me sentais clairement dans la peau d’un résistant engagé pour le repas à la française, résistant imparfait avec, comme on l’a vu, quelques compromissions avec l’ennemi (je ne cuisine pas, les plateaux-repas du midi). Mais, j’ai par ailleurs de solides fondamentaux (les repas de famille nombreuse, un solide appétit, etc).
Et enfin, je suis un fils d’Agen. Et, à Agen, on mange bien ! Et ceux qui vont nous faire changer ne sont pas encore nés.
Bon appétit !
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Jean Dionis
Maire d’Agen