Frédéric DABI est Directeur général opinion de l’IFOP, un des « grands » de la mesure des mouvements de l’opinion publique en France. Ses domaines d’intervention couvrent le champ électoral et politique ainsi que les études institutionnelles et de stratégies d’entreprise. J’ai travaillé avec lui à plusieurs reprises, tout au long de mon parcours politique et j’ai toujours apprécié son expertise très fine de l’opinion publique française. Aussi, c’est naturellement que j’ai acheté son dernier livre alors qu’il le présentait à l’Université d’été du Modem de cette année. Et ce, d’autant plus que, père de cinq enfants, tous âgés entre 25 et 35 ans, j’avais pu pressentir « la Fracture » entre les convictions de notre jeunesse et celle de la société française en générale.
L’approche proposée par F. DABI est intéressante : partir d’abord de mesures de l’opinion publique de notre jeunesse par le biais d’enquêtes rigoureuses sur des questions les plus stables possibles dans le temps… les analyses, toujours solides et modestes, ne viennent qu’après, comme tentatives d’explication des mesures constatées.
Que dit F. DABI sur les convictions de notre jeunesse, après les secousses du COVID ?
Il affirme les doutes de notre jeunesse sur sa patrie, La France et sur son Etat, et pointe le retour des valeurs traditionnelles, au premier rang desquelles on trouve la famille et l’entreprise, au sein de laquelle, ils s’estiment, très majoritairement, heureux.
Il pointe un double mouvement vers plus de générosité et vers plus de durcissement sociétal (notamment en matière de sécurité).
Il identifie un mouvement de fond de contestation par notre jeunesse de nos institutions démocratiques, une défiance générationnelle envers la classe politique actuelle, un niveau d’abstention record aux élections et signale un risque majeur d’abstention de masse par notre jeunesse aux Présidentielles de 2022.
Il s’interroge sur cette jeunesse qui fait "bande à part" sur les enjeux de société et notamment sur la laïcité où elle veut promouvoir une vision confuse et plus équilibrée que celle de ses aînés, où la liberté d’expression doit être équilibrée par un respect des différentes croyances des communautés qui composent la nation.
Enfin, il est admiratif de l’engagement unanime de notre jeunesse pour l’environnement et plus spécialement pour le climat et son jugement très dur sur l’inaction des décideurs actuels.
Je partage dans son ensemble ce diagnostic générationnel. Mais c’est très clairement les distances qu’ont déjà prises les jeunes de notre pays avec la démocratie et la vie politique française qui me glace et qui me mobilise…
Ecoutez ces quelques chiffres !
Au premier tour de l’élection présidentielle de 2017, 32 % des jeunes se sont abstenus contre 22,2 % pour l’ensemble du corps électoral. Pire, lors des dernières élections régionales de 2021, 84 % des jeunes de – 25 ans se sont abstenus contre uniquement 66,7% pour le corps électoral complet.
Pour avoir passé des soirées entières à discuter de cet exil électoral, d’abord avec mes enfants, mais aussi et surtout avec les jeunes Agenais, je connais par cœur l’argumentaire supposé justifier cette abstention de masse. Elle se résume en trois convictions :
1) l’organisation du vote est devenue archaïque. Modernisez-la, et nous retrouverons le chemin de l’isoloir (lire ma chronique à ce sujet en cliquant ici)
2) « les femmes et les hommes politiques ne sont pas honnêtes ». 81% des 18-30 ans se retrouvent dans cette affirmation. C’est le fameux « tous pourris » martelé par l’extrême droite pendant des décennies.
3) Enfin, 82 % des jeunes ne croient pas en l’action politique comme outil efficace pour résoudre les problèmes de notre société. Au « tous pourris » répond un non moins ravageur « tous inefficaces, tous impuissants ».
Chacun de ces trois arguments est fort et nous aurions bien tort de les balayer de notre mépris. A nous tous d’ouvrir encore et toujours ces trois chantiers :
Oui, l’organisation de notre vote est archaïque et l’ouverture au vote en ligne et par correspondance doit se faire au plus vite.
Oui, il faut sanctionner plus durement les manquements à l’exemplarité des élus en matière d’honnêteté.
Oui, l’honnêteté et l’efficacité, cela doit aussi être la tenue de ses promesses, la fin du « tout-communication », le retour du contrat électoral, le retour de la parole donnée et tenue.
Mais, à la fin de la lecture de ce livre, j’ai une question beaucoup plus centrale, beaucoup plus directe à adresser aux jeunes de notre pays et d’abord aux jeunes Agenais : « Etes-vous attachés à la démocratie ? »
Pas de démocratie, sans élections et sans élus légitimes. Et pas d’élus légitimes sans une participation forte qui donne tout son sens à la majorité et qui fait qu’elle est respectée par la minorité.
La démocratie, c’est, ni plus, ni moins, cette idée révolutionnaire de l’égalité radicale entre chacun des citoyens. Un homme, une femme en vaut une autre, un autre, quelques soient leurs différences…
Cet idéal d’égalité fondamentale doit être défendu « bec et ongles » alors qu’il est menacé de partout par tous les autoritarismes et tous les fascismes. Pour le défendre, nous avons besoin de nos jeunes. Alors, oui, d’abord pour défendre la démocratie… Commencez par « Votez ! » en 2022 et en France !
Merci à la « Fracture » et à Frédéric DABI pour ce livre électrochoc et son message final : « ne jamais se résoudre à ne plus parler avec nos jeunes ! »
@+,
Jean Dionis
Maire d’Agen