Tout commence à Noël. Le compagnon de ma fille, Julian, m’offre un petit livre « Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce – réflexions sur l’effondrement de Corinne Morel Darleux chez Libertalia (vous avez déjà compris que je vous en recommande la lecture).
Le petit livre ne paye pas de mine et – in petto- je me dis : « encore un bouquin « malthusianiste » !, encore une contribution millénariste de plus… ». En effet, je me situe idéologiquement plutôt dans le camp d’ « en face » : celui qui vénère la Raison, le Progrès… et, ce n’est pas accessoire, un Dieu créateur, donnant sens à l’Histoire….
Mais un cadeau est toujours une démarche un peu à part, un peu « sacrée » de la personne offrante vers le bénéficiaire. Je la respecte profondément et donc je m’engage auprès de Julian à lire son cadeau et à en débattre avec lui.
Le livre est un petit livre d’une centaine de pages écrit en 2019, avant la pandémie COVID, mais réédité en 2020 avec une postface qui en permet une relecture à la lumière de celle-ci.
Pour l’essentiel, l’auteure, Corinne Morel Darleux croit à la probabilité croissante d’un effondrement généralisé. Ecoutons la plaider celui-ci (pages 92 et 93) : « la vulnérabilité de notre civilisation est aujourd’hui aggravée par la mondialisation et le contrôle numérique, dans lesquels robots et algorithmes prennent la main. Sa résilience est affaiblie par la perte de savoirs manuels et de connaissances du milieu naturel. La probabilité d’un effondrement systémique à l’échelle mondiale reste néanmoins difficile à mesurer. Mais le taux de certitude augmente au fur et à mesure des publications scientifiques, des défections politiques et des dixièmes de degrés ».
Avec cette conviction ancrée au fond d’elle-même, elle se pose une question existentielle centrale : « que faire de ma vie personnelle, alors que le monde s’effondre autour de moi ? ». Et elle propose une réponse construite autour d’attitudes-clé, comme le refus de parvenir, le cesser de nuire, la dignité du présent et d’une conviction politique, l’écologie socialiste.
« A quoi bon, puisqu’on coule ? » est la première question que spontanément le lecteur que je suis a envie de lui poser. Et la pensée de l’auteur hésite et flotte entre plusieurs réponses toutes aussi existentielles :
D’abord, la réponse de la Résistance au Monstre qu’est devenue le Monde Moderne et l’on sent bien que pour l’auteure, la messe n’est pas encore dite et que l’humanité peut- encore- choisir la survie. Elle veut d’ailleurs nous embarquer dans un nouveau pari de Pascal laïcisé (page 93), recentré sur la question de l’effondrement du monde. « Croyez à l’effondrement et convertissez-vous… Pas d’effondrement, vous ne perdez pas grand-chose, si effondrement, vous serez prêt ».
Enfin, l’élégance esthétique du « couler avec Grâce » telle qu’a pu l’incarner l’orchestre du Titanic qui continuait à jouer pendant que les autres passagers s’entretuaient pour leur survie !
Pour nous convaincre, elle convoque des témoins merveilleux et c’est un des charmes essentiels de ce livre. Bernard Moitessier, et sa longue route, qui refuse la victoire qui lui tend les bras dans la course du monde en solitaire en 1969 « pour sauver son âme ». Pasolini et ses combats donquichottesques et Romain Gary, défendant les éléphants d’Afrique dans les « Racines du ciel ».
Excusez-du peu !!!!
Sur la forme, j’ai été vite séduit. Le ton est convaincu, voire militant. Il reste modeste et ouvert au doute existentiel. J’ai aimé la prise de conscience que le discours de la gauche laïque avait un véritable « angle mort » en ce qui concerne la spiritualité et le dialogue qu’elle entretient avec les grandes questions philosophiques incontournables de vies de femmes et d’homme d’aujourd’hui.
Et sur le fond, alors? Ce livre appartient effectivement à un courant plus philosophique que scientifique qui fonde l’écologie plus sur la peur – de l’effondrement général , de l’avenir - que sur le progrès et la raison…. C’est un débat central de notre actualité. Dans ce débat, je suis très reconnaissant au mouvement écologiste, à ses penseurs pionniers, et je me plais à citer parmi ceux-ci nos compatriotes, Jacques ELLUL et son « Penser globalement, agir localement » et Michel Serres et son fameux CONTRAT NATUREL où il affirmait « Si le contrat social de Rousseau se fait d’homme à homme dans le monde, le contrat naturel, lui, doit s’effectuer entre l’Homme et le Monde ». Nous, vous comme moi, avons tous été profondément transformés par ce mouvement dans nos convictions et une grande majorité de nos concitoyens est acquise à l’idée d’une transition écologique forte.
Mais l’histoire et le discours sur les sciences – l’épistémologie – nous met aussi en garde contre les grandes peurs de notre humanité. Je pense bien sûr à la grande peur de l’an MIL et à tous les malthusianismes qui ont fini dans les poubelles de l’histoire. Malthus lui-même pensait que notre bonne vieille terre ne pourrait pas nourrir plus d’1 milliard d’habitants. Tant bien que mal, elle en nourrit aujourd’hui 7 milliards…..
Bref, je suis plus optimiste, plus confiant que l’auteure sur le succès de notre transition écologique aujourd’hui engagée. Mais j’admets que, moi comme Corinne MOREL DARLEUX, nous sommes plus dans le domaine de la foi que dans celui des faits. Alors va pour un débat de fond, honnête, contradictoire, arbitré par les faits, par la Science, par la Raison…
Pourtant, au final, ce livre m’a parlé, m’a touché moi qui suis, dans ce débat, dans le « le camp d’en face » croyant à une nouvelle croissance (décarbonnée), optimiste et rationaliste. Pourquoi ? D’abord parce qu’il est d’essence personnaliste et qu’il nous intime de changer en même temps nos vies quotidiennes et la société par nos engagements multiples… ce à quoi je crois très fort.
Donnons pour finir la parole à l’auteure et au poète…
L’auteure d’abord ( page 72), : « ainsi le combo « refus de parvenir, cesser de nuire, dignité du présent » peut constituer un élément de réconciliation entre des univers qui ne finissent plus de s’opposer ». Chiche !
Au poète, Louis Aragon :
« Quand les blés sont sous la grêle, fou qui fait le délicat, fou qui songe à ses querelles…. »
« Au cœur du combat commun, un rebelle est un rebelle ! Nos sanglots font un seul glas »
Lisez-le ce petit bouquin, beau, sensible… et tout sauf sectaire.
Jean DIONIS