Né en mars, le mouvement « Nuit debout » a d’abord pris racine à Paris, place de la République. Il se caractérise par des débats permanents à l’intérieur de commissions, quant à elles plus ou moins permanentes (commission éducation, commission « grève générale », etc..) et des actions directement en relation avec les débats en cours.
Dans sa forme comme dans sa sensibilité politique dominante, ce mouvement ne tombe pas du ciel. Il est clairement l’héritier, le cousin germain des occupations de places espagnoles (Plaza de Catalunya et Puerta del Sol) qui ont rassemblé plus de 2 millions d’espagnols en mai-juin 2011 et qui, au final, déboucha sur la création d’un nouveau parti politique PODEMOS, auteur d’une belle performance électorale lors des dernières élections législatives Espagnoles.
Le mouvement s’étend à la fois en Province et à l’étranger (Montréal, etc…). Il faut donc le prendre au sérieux.
Le prendre au sérieux, c’est donc d’abord le considérer comme un signe, comme un capteur d’opinion publique, comme un symptôme de dysfonctionnement de notre démocratie.
Les participants de Nuit Debout disent à la Nation quelque chose de très clair : « Nous ne voulons pas d’une vie politique monopolisée par des professionnels de la politique. Le peuple doit se réapproprier les décisions politiques majeures ». Idéologiquement, Nuit debout conteste la démocratie représentative actuelle et propose une démocratie directe faite de mouvements sociaux ayant chacun un leur gouvernance directe (Les fameuses AG de Nuit Debout).
C’est d’ailleurs sur ce terrain de l’épuisement de notre démocratie représentative actuelle que le mouvement est le plus intéressant. Car la crise de ce modèle issue des Lumières du XVIIIème siècle est réelle. Tous les indicateurs démocratiques sont à l’orange : participation aux élections en baisse, montée électorale des partis populistes, diminution des adhérents des partis politiques, impuissance des politiques publiques à résoudre les principaux problèmes de la société (chômage, insécurité…)
Nuit Debout doit nous inciter à être audacieux en matière de changement de nos pratiques politiques : Conseils de quartier avec de réels pouvoirs, évaluation en ligne des différents projets et politiques publiques, pouvoirs renforcés aux assemblées générales d’actionnaires en entreprise…Nous ne devons pas avoir peur d’ouvrir ce grand chantier de la démocratie du XXième siècle. Et si Nuit debout nous stimule dans cette direction, franchement tant mieux…
Ceci dit, Nuit Debout n’ira pas tout droit au paradis. En effet son observation depuis plus d’un mois met en évidence deux faiblesses fondamentales.
La première, c’est clairement le refus du débat contradictoire. Jour après jour, il devient clair que Nuit Debout refuse pour l’essentiel…d’entendre des personnes ayant des convictions contraires à la sensibilité dominante du mouvement. L’expulsion du philosophe Alain Finkelkraut, la perturbation de la conférence du leader frontiste Florian Philippot à l’ESCP de Paris et la présence en son sein d’éléments violents venant de l’Ultragauche marque bien cette dérive sectaire de Nuit Debout. Or cette affaire est centrale : pas de démocratie véritable sans une recherche permanente de la vérité, et pas de recherche sincère de la vérité sans débat contradictoire. Nuit debout doit régler une fois pour toutes ce problème avec la violence et le débat contradictoire, sinon dans peu de temps il rejoindra la liste déjà longue des groupuscules sectaires.
Mais, il y a, à mon humble avis, une deuxième faiblesse encore plus rédhibitoire. En effet, le fonds du discours socio-économique de Nuit Debout vient d’une gauche complètement archaïque. Passer des nuits à parler de grève générale dans un pays où le taux de syndicalisation est en-dessous de 10%, celui des chômeurs est quant à lui nettement au dessus de 10%, et où 43% des 16-19 ans veulent devenir…des travailleurs indépendants (IFOP, juillet 2015), ca fait quand même férocement penser aux théologiens byzantins en train de discuter du sexe des anges alors que les envahisseurs ottomans prenaient d’assaut les remparts de Constantinople. Là encore, si Nuit Debout ne s’ouvre pas à d’autres courants de pensée autrement plus adaptés à la société dans laquelle nous vivons, il y a fort à penser que, dans quelques mois, voir dans quelques semaines, ils n’intéresseront plus grand monde.
Vrai symptôme d’une crise profonde de la démocratie représentative, Nuit Debout, pour le moment, ne nous a rien apporté de neuf et d’efficace sur les remèdes à mettre en œuvre aujourd’hui dans la France de 2016. A partir de ce constat simple, la vigilance s’impose, pour nous centristes, quant aux dérives possibles de ce mouvement.
Vous dites des vérités qui avant de s'appliquer à NUIT DEBOUT s'appliquent à tous les partis qui se sont succedés au pouvoir. Pensez-vous vraiment que les grands partis depuis des décennies ont apportés de solutions concrètes à la crise ? Visiblement NON. En Allemagne ils voient la FRANCE dans le même contexte politique économique et social que l'Allemagne dans les années 30. Rien à voir avec les Lumières. Paupérisation de la société, perte de confiance dans les partis traditionnels, montée des extrêmes et manifestations récurrentes.
Cordialement
C'est très important d'avoir des lieux de débat ouvert, et je suis plutôt content de voir qu'un député de l'opposition s'intéresse au contenu de Nuit debout. Il y a eu notamment une phrase de Frédéric Lordon qui a bien exprimé le clivage au sein du mouvement : « nous ne sommes pas ici pour faire une animation citoyenne “all inclusive” [incluant toutes les opinions], mais pour faire de la politique. Nous ne sommes pas amis avec tout le monde. » Cela a fait l'objet de nombreux commentaires et interrogations. Personnellement, je me reconnais aisément dans les "inclusivistes" et je pense que la politique consiste à faire du débat collectif sans clanisme, aussi bien avec des non-amis qu'avec des amis, et qu'on a même le droit d'avoir des amis qui n'ont pas les mêmes options politiques.
Chez les inclusivistes donc, nous pensons qu'il faut inventer de nouvelles méthodes, les tester, les améliorer et créer du lien social. Cela touche les questions d'environnement, d'alimentation, de logement, de monnaie alternative et de politique...Probablement que Nuit-debout n'existera plus dans quelques semaines, mais il y a des groupes qui prospèrent et notamment sur les questions d'alternatives à la démocratie représentative. Il y a un foisonnement de projets "civictech", des groupes dynamiques comme democratieouverte.org ou encore comme democracyOS, #Mavoix, etc. Il y a même des maires qui ont commencé à travailler dans ce sens : http://www.territoires-hautement-citoyens.fr/mulhouse/