Sénatoriales 2011 : regard de député

J’ai, longtemps, pensé qu’en ce qui concerne le Sénat, le Général de Gaulle avait raison. Parodiant Caton l’Ancien qui de manière obsessionnelle estimait que « Cartago delenda est » (Carthage doit être détruite), le Général estimait, lui aussi, que «Senatus delendus est » (le Sénat devait être détruit). Il s’y est d’ailleurs « cassé les dents « lors du référendum de 1969, où il proposait entre autres aux Français de réformer en profondeur le Sénat en le transformant en super-conseil économique et social.

Je ne le pense plus aujourd’hui. Et, avant de commenter les résultats de cette soirée électorale, je crois intéressant de poser un regard de député sur la pertinence de notre organisation parlementaire

Commençons par un petit cours de rattrapage d’éducation civique pour celles et ceux, rares, pour qui les souvenirs d’instruction civique sont un peu brumeux. Le Parlement français, comme toutes les grandes démocraties (USA, Allemagne, Grande-Bretagne, etc…) est composé de deux chambres : l’Assemblée nationale et le Sénat. On parle de système bicaméral et on doit rappeler que les députés et les sénateurs travaillent sur exactement les mêmes textes de lois, ce qui rend important la qualité des relations de députés et de sénateur d’un même territoire pour être efficace sur un texte donné.

Par contre, si les 577 députés sont élus tous les 5 ans au suffrage universel direct dans chaque circonscription, les 348 sénateurs sont élus tous les six ans (le Sénat était précédemment renouvelé par tiers tous les trois ans jusqu’à la loi du 30 juillet 2003). Ils sont élus au suffrage universel indirect par un collège de grands électeurs dans chaque département. Ce collège comprend 150 000 élus au niveau national : 577 députés, 1870 conseillers régionaux, 4000 conseillers généraux et 142 000 délégués des conseils municipaux. En Lot-et-Garonne, ils sont 971 grands électeurs à se prononcer pour l’élection de deux sénateurs après le retrait de Daniel Soulage et Jean François-Poncet.

Ce mode d’élection particulier des sénateurs a été initialement institué pour représenter la diversité des territoires français et équilibrer les larges majorités établies par le suffrage universel au sein de l’Assemblée nationale à l’occasion de l’élection présidentielle et des mouvements très importants qu’elle déclenche au sein de l’opinion publique. En raison de la surreprésentation des territoires ruraux, et donc de l’ancrage historique du Sénat à droite, Lionel Jospin a pu parler « d’une anomalie de la démocratie ». Je crois que, comme le Général de Gaulle, il avait tort. L’équilibre des pouvoirs de la Vième république où l’impulsion politique vient du gouvernement et de l’Assemblée Nationale et où le Sénat est un des contre-pouvoirs est un bon équilibre. Mes critiques allaient aussi aux lenteurs et à la prudence traditionnelle des sénateurs qui m’exaspéraient en tant que jeune député. Dix ans d’hémicycle, quelques rides plus tard, et avec un Sénat rajeuni et féminisé, j’ai pu constater la grande valeur des travaux des sénateurs (souvent meilleurs qu’à l’Assemblée) et j’ai appris à apprécier cette institution. Ma proximité amicale et politique avec le sénateur de Lot-et-Garonne Daniel Soulage m’y a aussi aidé.
Tout est-il donc pour le mieux dans notre organisation parlementaire ? Non, car à bien y réfléchir, la spécialisation de nos deux assemblées ne fonctionne pas. L’Assemblée Nationale est supposée représentée la nation dans sa diversité et le Sénat est supposé représenter les territoires. Or l’Assemblée Nationale représente bien imparfaitement la diversité nationale dans bien des domaines (sexe, catégories socioprofessionnelles, générations, etc…) et au contraire, elle la représente très bien ….dans un domaine précis : les territoires, chaque bout de territoire national étant représenté à raison d’1 député pour 110 000 habitants. De gaulle, là par contre, avait raison lorsqu’il pressentait qu’il fallait assoir la légitimité de la deuxième chambre sur une autre réalité que celle des territoires.

Et les résultats de ce soir que faut-il en penser ?

• Au niveau national, d’abord :

o Le sénat bascule à gauche, une première sous la Ve République et Gérard Larcher risque de perdre la présidence du Sénat. Ce résultat confirme mécaniquement la progression de la gauche constatée lors des élections régionales de 2010, des cantonales de 2011 et surtout des municipales 2008. C’est évidemment une mauvaise nouvelle, surtout en vue de l’élection présidentielle de 2012. Le changement de majorité au Palais du Luxembourg va poser le problème du bon fonctionnement du processus législatif pour la fin du mandat de Nicolas Sarkozy. Il reste des réformes importantes à porter lors de cette dernière session du quinquennat : le plan de rigueur, le budget, la loi consommation… L’opposition entre les deux chambres ne va pas faciliter l’élaboration de ces lois, elles sont pourtant essentielles dans le contexte actuel. Constitutionnellement, l’Assemblée nationale et le gouvernement peuvent passer outre le vote au Sénat mais cela sera plus compliqué en termes de calendrier et la gauche ne va pas arrêter de mettre en scène son opposition au gouvernement au sein du Sénat

• Au niveau lot-et-garonnais, enfin : Il n’aura échappé à personne que j’ai clairement affiché mon soutien à Henri Tandonnet et Alain Merly durant la campagne des sénatoriales. Car je sais l’importance de former une équipe solide de parlementaires de la majorité présidentielle en Lot-et-Garonne et l’entente député-sénateur est primordiale pour peser véritablement sur les lois en construction.

Les résultats du Lot-et-Garonne sont maintenant connus : Henri Tandonnet (Centriste) et Pierre Camani (Ps) sont élus. A.Merly, que je salue pour son combat digne et son score respectable, arrive troisième et est le premier battu …de très peu. Mes félicitations fraternelles vont d’abord à Henri Tandonnet, qui a fait une superbe campagne. C’est une belle victoire méritée, car je suis persuadé qu’il fera un excellent sénateur au Palais du Luxembourg. Avec son élection, je sais pouvoir tisser un lien député-sénateur qui nous permettra de peser à Paris sur les dossiers importants pour notre Lot-et-Garonne. Enfin, dans le contexte d’une forte poussée nationale de la gauche, les résultats du PS Lot-et-Garonnais sont en demi-teinte : Certes, il gagne un siège. Mais P.Camani est bien petitement élu. Non seulement il n’est pas élu au premier tour, mais il arrive en deuxième position derrière H.Tandonnet….Bref, pour le PS Lot-et-Garonnais qui avait pris la grosse tête ces temps-ci, il s’agit d’un retour sur terre brutal avec un carton jaune donné par les élus locaux Lot-et-Garonnais.

Pourtant, prenons garde à n’exagérer ni dans un sens, ni dans l’autre les leçons de ce scrutin. Demain sera un autre jour…..La vie politique suivra son cours et la bataille sénatoriale cédera bientôt la place aux « grands combats » que sont la Présidentielle ….et les législatives. Mais c’est une autre histoire qui aura bientôt toute sa place sur ce blog.
Amitiés,
@+