Je viens de terminer la lecture du livre de Marc Bloch : L’Étrange Défaite. Il y a longtemps que j’avais envie de le faire, tant ce livre fait consensus pour être le témoignage à chaud le plus profond sur ce qui reste l’un des effondrements les plus dramatiques de notre histoire nationale.
Ce livre est écrit de juillet à septembre 1940 par Marc Bloch, universitaire et historien reconnu mondialement, capitaine exemplaire aux quatre citations pendant la Première Guerre mondiale et héros martyr de la Résistance lyonnaise, assassiné par les nazis en 1944. Ce parcours d’un patriotisme exceptionnel a convaincu le Président de la République, Emmanuel Macron, d’accueillir Marc Bloch au Panthéon l’an dernier.
Ce livre est à la fois celui de la colère d’un patriote humilié par l’effondrement national de mai-juin 1940, mais aussi celui du regard lucide de l’officier et de l’intellectuel sur les raisons de ce désastre.
Je ne saurais trop vous recommander de le lire, d’abord pour mieux comprendre cet épisode tragique de notre histoire, mais surtout pour les leçons et les clés de compréhension qu’il nous donne pour la période actuelle, marquée à nouveau par les dangers de la guerre.
Comment, tout d’abord, ne pas être frappé par quelques points forts de similitude entre la période de 1939-1940 et celle d’aujourd’hui ?
- Même montée de l’extrême droite et du fascisme sur l’ensemble du continent européen.
- Même renversement inimaginable d’alliances :
- En 1939, avec la signature du pacte germano-soviétique.
- Et de nos jours, en 2025, avec la trahison américaine de l’Ukraine et l’alliance de fait entre les États-Unis de Trump et la Russie de Poutine.
- Mêmes abandons et reculs successifs des démocraties :
- Devant Hitler : 1936, la Rhénanie ; 1938, les Sudètes ; 1939, la Pologne.
- Devant Poutine : l’Ukraine en 2014, l’Ukraine en 2022.
Dans le contexte spécifique de 1940, Marc Bloch pointe trois responsabilités majeures de ce drame national :
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1940 fut d’abord la défaite du haut-commandement militaire français, pour lequel Marc Bloch n’a pas de mots assez durs : état-major de vieillards, une guerre de retard pour la propension à organiser notre défense sur les schémas de la guerre de 1914-1918, alors que l’armée allemande organisait son offensive sur la base de la mobilité et de la vitesse.
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1940 fut ensuite la défaite d’un pays à l’effort de guerre insuffisant, par rapport à l’effort de guerre allemand, continu depuis l’arrivée au pouvoir d’Hitler. « La France n’a pas assez construit de chars, d’avions… »
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1940 fut aussi l’effondrement d’un pays, d’un pays qui n’a pas su se mobiliser contre le fascisme et où trop de ses enfants pensaient, après 1936, « Plutôt Hitler que le Front populaire ».
Et maintenant, qu’en tirer comme enseignements en 2025 ?
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D’abord, ne pas se tromper de guerre. Celle qui se profile peut-être à l’horizon sera radicalement différente de la Seconde Guerre mondiale, voire des conflits locaux lui ayant succédé : drones, cybersécurité, missiles longue portée… Simple citoyen, sans aucune culture militaire, je me garderai bien d’imaginer la guerre à laquelle il faut nous préparer. Mais il y a urgence à promouvoir une élite militaire jeune, au moins dans sa tête et dans son cœur, pour penser cette nouvelle guerre.
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Ensuite, réarmer. Très clairement, le lecteur de Marc Bloch est vite convaincu que, dans le débat franco-français sur la nécessité d’aller vers une économie de guerre, Marc Bloch nous laisse en héritage un appel pressant à faire les efforts militaires nécessaires et enjoint toutes les forces républicaines, y compris de gauche, y compris les grands syndicats, à soutenir cet effort de guerre.
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Enfin, être capable de s’unir contre l’agresseur. La France a payé cash la complicité intellectuelle de fait d’une partie importante des classes dirigeantes et de la bourgeoisie, mais aussi du Parti communiste anesthésié par le pacte germano-soviétique envers le nazisme et Hitler, au moins jusqu’à l’invasion de la Russie en 1941. À nous, aujourd’hui, de rejeter clairement et fortement l’agresseur Poutine, la Russie, ainsi que toute sympathie avec les régimes d’extrême droite ou même autoritaires. Nous sentons bien l’attrait que peut avoir ce mythe de l’homme fort, de la loi du plus fort, plutôt que la démocratie et l’État de droit, sur une partie importante du corps social français.
L’historien Marc Bloch défend sa discipline en disant que si l’histoire, discipline du changement, enseigne que la répétition des faits, compte tenu de l’infinité des circonstances historiques, n’advient jamais, les mêmes enchaînements de causes produisent les mêmes effets.
Nous voilà vaccinés.
En 1940, puissance mondiale d’alors, vainqueur de la précédente guerre mondiale, la France s’effondre en cinq semaines dans une étrange défaite parce que ses chefs militaires s’étaient trompés de guerre, parce qu’elle n’avait pas autant réarmé que l’Allemagne et, enfin, parce qu’elle était un pays divisé face au nazisme.
Et nous, la France de 2025 ? Nos chefs militaires pensent-ils la prochaine guerre ? La France se réarme-t-elle ? La France se rassemble-t-elle contre la Russie ?
Marc Bloch nous crie de le faire en urgence. Sinon, une autre étrange défaite pourrait nous attendre.
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Jean Dionis, Maire d’Agen