article provenant de télérama :
Quand un député de la majorité démolit le projet de loi du gouvernement
Le 15 décembre 2008
A 16 heures, les députés reprennent la discussion du projet de loi sur l'audiovisuel. Vendredi, il ont adopté, avec les seules voix de l'UMP, l'article 18, qui entérine la suppression de la publicité sur les chaînes publiques. Fait rare dans l'hémicycle, un député de la majorité, Jean Dionis du Séjour (Nouveau Centre), s'est attaqué à tout le volet financier du projet. Une entreprise de démolition méthodique et parfaitement argumentée.
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Lecteurs, vous avez compris que Télérama est foncièrement hostile au projet de loi sur l’audiovisuel tel qu’il a été conçu par le gouvernement. Nous l’avons beaucoup critiqué, nous en avons pointé les dangers et les limites. Nous ne sommes pas les seuls. Dans un sondage publié hier par Le Parisien, 74 % des Français se déclaraient eux aussi hostiles à l’une des mesures phares de ce projet de loi : la nomination des présidents de France Télévisions et de Radio France par l’Elysée.
Vendredi soir, à l’Assemblée nationale, c’est une fraction de la majorité présidentielle (le Nouveau Centre) qui, par la voix de Jean Dionis du Séjour, marquait son hostilité absolue à l’égard d’un autre aspect majeur de ce projet de loi : la création de deux nouvelles taxes (une de 3 % sur le chiffre d’affaires publicitaire des chaînes de télévision, l’autre de 0,9 % sur les opérateurs télécoms) destinées à financer le manque à gagner de la suppression de la publicité sur les chaînes publiques. Lisez jusqu'au bout ce qu’en dit le député du Lot-et-Garonne, membre d’un parti qui soutient sans réserve depuis dix-huit mois la politique du gouvernement. Son réquisitoire est parfaitement argumenté et absolument sans appel. Edifiant !
« S’agissant de ces deux taxes, vous parlez d’innovation fiscale. C’est le moins qu’on puisse dire… Vous avez fait très fort ! Nous sommes totalement opposés à votre solution de financement. Vous auriez pu choisir de faire preuve de lucidité face à la crise, en reportant cette réforme à 2012. Vous ne l’avez pas fait. Vous auriez pu choisir la légitimité, le courage politique, en augmentant la redevance. Vous ne l’avez pas fait. Vous auriez pu faire en sorte qu’il y ait au moins un rapport entre l’objet taxé et l’objet soutenu, en choisissant, par exemple, de taxer les écrans de télévision. Vous ne l’avez pas fait ! Vous avez trouvé l’idée de ces deux taxes, et je me suis demandé comment vous en étiez arrivés là. En réalité, vous avez fait une lecture politique : il vous fallait habiller ce que vous faisiez pour le privé et chercher une base, très large et politiquement indolore. D’où la deuxième taxe, celle qui porte sur les opérateurs de télécoms, issue d’un raisonnement strictement politicien, à court terme, où la dimension économique et la légitimité fiscale n’ont pas été prises en compte.
Il en résulte que les taxes ne sont pas affectées et, quoi que vous en disiez, vous précarisez le financement de l’audiovisuel. Les parlementaires que nous sommes ont tous en tête la TACA [ndlr : Taxe d’aide au commerce et à l’artisanat] : 600 millions générés, 80 seulement reversés ! Vous pouvez dire ce que vous voulez, la pression budgétaire que vous aurez à subir vous réservera malheureusement de sacrées surprises, et les gens de l’audiovisuel public le savent !
En outre, la constitutionnalité de ces taxes est douteuse. Vous pouvez créer une rupture d’égalité entre les sociétés que vous visez et toutes les autres.
Par ailleurs, vous créez une taxe sur le chiffre d’affaires, lequel n’a jamais été retenu en tant qu’assiette et capacité contributive. C’est contraire à notre droit constitutionnel. Vous prenez un risque ! Je ne suis pas un grand juriste constitutionnel, mais j’espère que vous en comptez quelques-uns dans vos équipes.
Enfin, vos taxes sont illégitimes. Leur justification résiderait dans le report des recettes publicitaires à la suite de l’arrêt progressif de la publicité sur France Télévisions. Cela reste pour le moins sujet à débat. Le report des recettes publicitaires va d’abord sur la TNT, mais surtout sur Internet. En créant cette taxe, vous avez réussi le tour de force politique de mettre en colère les gens pour lesquels vous avez élaboré cette loi [ndlr : les chaînes privées et notamment TF1]. Ce qui vous a contraints à déposer un amendement de repli ! [ndlr : en vertu de cet amendement adopté vendredi soir, les chaînes ne seront plus forcément taxées de 3 % de leur chiffre d’affaires publicitaire, comme le prévoyait initialement le projet de loi, mais de 1,5 % à 3 %, en fonction de la croissance de leur chiffre d’affaires publicitaire]. J’en appelle à la réactivité de la majorité présidentielle. Tout le monde a le droit à l’erreur, l’infaillibilité n’est que pontificale… Le président de la République a été un modèle de réactivité. Je ne vois pas pourquoi, sur ce sujet, il ferait preuve d’une rigidité absolue. Avec ces deux taxes, nous allons dans le mur. »
Un peu plus tard dans la soirée, le député a mis en équation le montant de la taxe sur les télévisions. Plutôt complexe...
« Le produit de la taxe est égal à 0,03 multiplié par 0,96 – soit le résultat de 1 moins 0,04 –, que multiplie le chiffre d’affaires réduit de 11 millions d’euros. Ensuite, il faut comparer ce résultat à 50 % de l’accroissement de l’assiette, c’est-à-dire à 50 % de l’effet d’aubaine. Cela commence déjà à être compliqué comme fonction ! Si c’est supérieur à 50 % de l’assiette, la valeur devient 50 % de l’assiette, n’est-ce pas ? A ce moment-là, on vérifie que le produit est supérieur ou égal à 1,5 % de l’assiette de la période de référence. Mais c’est fabuleux ! Qui a pondu ça ? Je veux son nom ! »
A ce moment dans l’hémicycle, Noël Mamère crie « Nicolas Bourbaki ! » (nom d'un mathématicien imaginaire sous lequel un groupe de mathématiciens francophones a commencé à écrire et éditer des textes dans les années 30) ; le député PS Marcel Rogemont, hurle « Courteline ! » Imperturbable, Jean Dionis du Séjour reprend :
« Je veux le nom du technocrate qui a commis cela. Madame la ministre, vous allez me le dire pour que je puisse le féliciter. Il a dû faire l’Ecole normale supérieure ou Polytechnique parce que, même à Centrale, nous n’aurions pas imaginé une telle fonction. C‘est vraiment magnifique. »
Nicolas Bourbaki, Georges Courteline, Jean Dionis du Séjour et toute l’opposition n’y pourront rien, l’article 20 qui institue la taxe de 3 % sur les télévisions est adopté avec les seules voix de l’UMP : 25 contre 16. Il est alors pas loin de minuit ce vendredi, et les députés entament la discussion de l’article 21, qui crée la taxe sur les opérateurs de télécoms. Infatigable, le député Nouveau Centre attaque à nouveau :
« Cet article propose d’instituer une taxe sur les services fournis par les opérateurs de communications électroniques. Si la formule mathématique en est un peu plus simple que pour la taxe précédente, elle n’en constitue pas moins la cerise sur le gâteau. En premier lieu parce qu’elle n’est pas affectée, ce qui est un risque majeur pour la société qu’elle finance, à savoir France Télévisions. L’histoire budgétaire a déjà montré qu’une taxe ayant un objet bien défini – en l’occurrence, la compensation au titre de la suppression de la publicité – augmente et se détourne souvent de son objet initial (…).
Ensuite, la constitutionnalité de cette taxe est douteuse, pour deux raisons. Tout d’abord, elles sont discriminatoires. Pourquoi, en effet, taxer les opérateurs de télécommunications et non les sociétés qui vendent des écrans de télévision, dont l’activité est pourtant plus proche du secteur télévisuel que la transmission de signaux électroniques ? Ensuite, leur assiette est fondée sur le chiffre d’affaires, ce qui nous semble problématique.
Par ailleurs, cette taxe est illégitime. “Vous êtes modernes, nous dit-on. Vous savez donc que les différents médias convergent : les télécoms et la télévision, c’est la même chose.” Je souhaiterais précisément vous soumettre quelques éléments de réflexion sur ce sujet, Madame la ministre.
Selon l’ARCEP, en 2007, le revenu des opérateurs télécoms s’élevait à 42,3 milliards d’euros. Leurs recettes se répartissaient de la manière suivante : 11 milliards d’euros pour la téléphonie fixe, qui n’a rien à voir avec la télévision ; 15,2 milliards pour les services “voix mobile”, qui n’ont rien à voir avec la télévision ; 2,25 millions pour les services “voix avancée et voix télématique”, qui n’ont rien à voir avec la télévision ; 390 millions pour les services avancés, qui n’ont rien à voir avec la télévision ; 126 millions pour les services de renseignement téléphonique, qui n’ont rien à voir avec la télévision ; 1,4 milliard pour les revenus de liaisons louées, qui n’ont rien à voir avec la télévision. Sur un chiffre d’affaires de 42 milliards d’euros, seuls les transports de données mobiles et l’accès à l’Internet haut débit ont un lien avec la télévision. Or, ils représentent moins de 5 % de ce chiffre d’affaires.
Cette taxe est donc, à l’évidence, illégitime.
Mais ouvrez les yeux ! Comment justifier que l’on impose cette taxe aux opérateurs de télécoms et non aux vendeurs d’écrans de télévision ?
Enfin, cette taxe est fondamentalement antiéconomique. Prenons l’exemple de SFR. Chiffre d’affaires total : 9 milliards d’euros ; estimation du chiffre d’affaires lié à la télévision : 20 millions d’euros ; montant de la taxe : 81 millions d’euros ! Une fois que la vague médiatique sera retombée, les opérateurs télécoms, qui sont des acteurs économiques, soit réduiront leurs investissements, soit répercuteront ces taxes sur leurs prix. Dans cette hypothèse, l’impact de cette répercussion est estimé à environ 15 euros par facture de télécoms.
Pour conclure, le moins que l’on puisse dire, c’est que le gouvernement n’a pas de vision d’ensemble. Je n’ai rien contre le fait que l’on sollicite le secteur des télécoms, à condition que ce soit pour des raisons légitimes. Nous allons bientôt examiner votre projet de loi Création et Internet, Madame la ministre, qui, entre nous soit dit, est autrement structurant pour notre société. Eh bien, dans un monde où Internet est devenu le média majeur, il serait légitime de taxer les opérateurs télécoms pour rémunérer la création.
J’ajoute que le plan “France numérique 2012” d’Eric Besson prévoit de raccorder 4 millions de foyers à la fibre optique en 2012. En ponctionnant 380 millions d’euros sur les opérateurs de télécoms, vous privez de cette connexion 400 000 personnes par an, puisque le coût d’une prise est évalué à 1 000 euros. Voilà le résultat de vos arbitrages catastrophiques ! »
A 0h50 samedi, la discussion autour de l’article 21 était suspendue. Suite des débats aujourd’hui à partir de 16 heures. Il reste 35 articles à étudier. Alors, comme d’habitude, restez connectés, on vous tient au courant.
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